L’échec assuré du nouveau portail immobilier de la profession
Par Guilain Omont
Résumé : Certains grands acteurs de l'immobilier se sont réunis avec un objectif : réduire les tarifs de diffusion des annonces sur les portails.
Pour cela, ils vont créer leur propre portail immobilier. Mais même dans l'hypothèse - peu probable - où l'audience est au rendez-vous et où les nombreux conflits d'intérêt ne dégénèrent pas trop, les expériences britanniques montrent que l'objectif initial ne sera pas atteint !
Les agents immobilier sont confrontés à un problème important : SeLoger et leboncoin sont quasiment incontournables, ils peuvent augmenter leurs tarifs d’année en année sans craindre le départ des agents, ils captent donc une part de plus en plus grande du chiffre d’affaires total. Cela se fait au détriment d’autres postes budgétaires, et on peut penser que, par ricochet, cela réduit même le chiffre d’affaires total : les vendeurs et les acquéreurs en auraient moins pour leur argent, ce qui favoriserait la vente de particulier à particulier…
Pour résoudre ce problème, une solution vient immédiatement à l’esprit : la mise en place d’un portail puissant par les agents eux-mêmes. On peut imaginer un portail dont les actionnaires sont uniquement des agents (par exemple, chaque agent pourrait acheter des actions de ce portail au prorata de son chiffre d’affaires de l’année d’avant). Les tarifs pourraient rester faibles dans la durée, avec une quasi-gratuité au démarrage. Les sommes indispensables aux campagnes de communication des premières années seraient apportées par les premiers actionnaires. Si le portail marche, ces derniers verraient la valeur de leurs actions monter, et les actionnaires futurs devraient payer plus chères leurs actions…
Même dans un tel cas idéal (répartition équitable du capital, et audience au rendez-vous), l’aventure n’irait pas sans friction :
- Les prestataires techniques doivent être suffisamment neutres pour bénéficier de la confiance de chacun.
- Les intérêts des internautes doivent rester une préoccupation centrale.
- Les conflits d’intérêts entre agents doivent pouvoir se régler sans dégénérer en pugilat.
Voici quelques exemples de situations problématiques que je peux imaginer :
- Les grands réseaux auront beaucoup de droits de vote. Que se passe-t-il s’ils décident cette règle : une annonce est davantage mise en avant s’il s’agit d’une annonce d’un grand réseau ?
- Serait-il opportun que les annonces exclusives soient mises en avant, pour "éduquer les acquéreurs" et encourager les agents à signer des mandats exclusifs ? Est-ce que les internautes y gagneraient ? Comment réagiraient les agents qui travaillent sans chercher particulièrement à signer des mandats exclusifs ?
- Il existe de plus en plus de sites qui recueillent les avis clients des agents immobilier (vendeurs et acheteurs). Certains portails ont décidé de fournir ces avis aux visiteurs. Évidemment, beaucoup d’agents critiquent les process de recueil de ces avis, et considèrent qu’ils véhiculent une information biaisée… Mais les internautes sont de plus en plus en demande d’avis. Quelle décision prendre ?
- Faut-il dédoublonner les annonces liées à des mandats non-exclusifs ? Si oui, comment le faire de manière équitable ? Comment permettre aux agents de vérifier que l’algorithme de dédoublonnage est neutre ?
- Si le prestataire technique est proche de certains agents, comment être sûr que certains employés ne communiquent pas les données sensibles aux concurrents (contacts acquéreurs, adresses exactes des biens à vendre, etc.) ?
D’ici début 2016, un tel portail va voir le jour en France ! Participent à ce projet de nombreux acteurs importants : la FNAIM, l’UNIS, le SNPI, Nexity, Century 21, Guy Hocquet, ORPI, Foncia, etc. Un ensemble cohérent de rumeurs circule :
- Le nom du portail sera "BienIci" (Nexity voulait reprendre le nom de son portail "Insoon" mais on peut imaginer que ce nom était trop anglais au goût de certains)
- Il y a encore du flou concernant l’identité du prestataire technique. Une entreprise proche de l’un des membres fondateurs a été citée. Une autre possibilité serait Relaymark, une agence de communication qui compte le réseau L’Adresse parmi ses clients : la personne qui a déposé le nom de domaine bienici.fr est Denis Tanneux (le 12/09/2015)...
- Le système de répartition de capital ne sera pas vraiment équitable, les membres fondateurs seront sur-représentés, et certains acteurs importants (notamment les réseaux de mandataires) n’ont pas été invité à se joindre à eux. De plus, on peut imaginer que rien n’empêchera dans l’avenir un actionnaire de BienIci de revendre ses parts à quelqu’un d’extérieur à la profession.
Le dernier point est le plus critique. C’est ce qui me fait penser que le portail "BienIci" n’atteindra pas ses objectifs à terme, même si l’audience est bonne et que les frictions évoquées plus haut sont résolues. Deux cas similaires se sont présentés au Royaume-Uni :
- en 2000, les 4 plus grands acteurs britanniques de l’immobilier fondent RightMove. Le succès est au rendez-vous, si bien que la valorisation de RightMove explose et pousse les fondateurs à vendre leurs parts. Aujourd’hui, RightMove n’est plus contrôlé par la profession, et ses tarifs sont parmi les plus élevés du monde !
- le 26 janvier 2015, exaspérés par les tarifs de RightMove et de Zoopla, les professionnels britanniques de l’immobilier lancent à nouveau leur propre portail : OnTheMarket.com. Cette fois-ci, malgré les investissements considérables (certains analystes parlent d’une centaine de millions de livres), l’audience n’est pas au rendez-vous (cf. les chiffres dans l’annexe ci-dessous).
À ma connaissance, le seul cas de succès à long terme d’un tel portail se trouve aux Pays-Bas : Funda a été créé en 2001 par un syndicat professionnel d’agents immobilier, le NVM. Ce dernier étant ultra-dominant, Funda a pu devenir le portail de référence. Ce qui s’est passé pour RightMove ne s’est pas passé pour Funda : le NVM n’a évidemment pas revendu son propre portail, et les prix sont restés bas ! À noter que depuis 2007, les agents qui ne sont pas membres du NVM peuvent quand même publier leurs annonces sur Funda… En France, aucun syndicat n’étant ultra-dominant, un tel scenario n’est pas envisageable…
Je suis donc pessimiste concernant le projet "BienIci" ! Au mieux, l’aventure ressemblera à celle de RightMove. Au pire, elle ressemblera à celle de OnTheMarket (et de tant d’autres portails immobilier qui ne réussissent pas à décoller)... Une solution serait de permettre une répartition équitable du capital et d’interdire la vente du capital en dehors des agents immobilier. Une autre solution serait que la profession aide activement les challengers (logic-immo, paru-vendu, etc.) avec, en contrepartie, un accord de fixation des prix à long-terme (ramené globalement au lead, le tarif n’augmenterait au maximum que de l’inflation)...
Annexes : Chiffres à propos de OnTheMarket
L’audience reste très faible comparé aux 2 gros portails historiques, et surtout, elle a quasiment arrêté de croître, si l’on se fie aux chiffres de SimilarWeb :
OnTheMarket ne rassemble pas autant d’annonces qu’il le pourrait. Peut-être est-ce à cause de la politique commerciale particulièrement agressive : un agent n’est pas autorisé à publier sur OnTheMarket, s’il publie déjà sur les deux portails historiques ! Autrement dit, pour avoir le droit de publier sur OnTheMarket, il faut qu’il arrête de publier sur Rightmove ou sur Zoopla (ou sur les 2) ! J’ai pris rapidement 4 villes au hasard, réparties géographiquement sur l’ensemble du Royaume-Uni, où OnTheMarket publie quelques centaines d’annonces. Le nombre d’annonces sur les portails historiques est presque toujours nettement supérieur :
Portsmouth | Hillingdon | Batley | Dunbartonshire | |
OnTheMarket | 117 | 222 | 213 | 329 |
Rightmove | 989 | 1000+ | 351 | 828 |
Zoopla | 416 | 816 | 127 | 567 |
Commentaires
Christophe Guichard - mardi 10 novembre 2015 à 16:48 :
Je partage totalement ton analyse, je pense même que les initiateurs de ce projet sont en train de se tirer une balle dans le pied !
Les précédentes tentatives Françaises le prouvent car elles ont toutes échouées, toujours pour la même raison : le différentiel entre l'égo des dirigeants de réseaux ou syndicats et la priorité des agents sur le terrain qui n'attendent pas autre chose que des prospects.
En effet, comment gérer cette mutation sans perdre de contacts et/ou augmenter ses charges?
Deux solutions existent : Changer du jour au lendemain en demandant aux agents de se priver des contacts de SeLoger ou leboncoin?... Impossible car même avec un budget pub gigantesque, les internautes ne vont pas changer leurs habitudes du jour au lendemain.
Envisager une montée en charge progressive, dans ce cas les agents devront payer ce nouveau portail en plus des autres?... Compliqué dans une période ou les marges sont faibles.
Par ailleurs, je ne pense pas que les compétences associées de Seloger, du LBC ou encore logicImmo puissent leur permettre un jour d'ouvrir des agences ou lancer des réseaux pour faire de la transaction... pas plus que les grands réseaux sont compétents pour développer un portail internet !
Chacun son métier, surtout dans une période ou les innovations se succèdent, la structure créée aura-t-elle les compétences pour faire les bons investissements... pari très risqué qui pourrait se transformer en boomrang.
Enfin, comme tu les dis, pour le moment les réseaux de mandataires sont exclus, comme de l'AMEPI et du CNTGI, rien de mieux pour les motiver à créer un autre portail !
Et c'est bien le danger, car avec cette initiative, le risque majeur est l'atomisation de l'offre d'annonces par la multiplication des portails, surtout que SeLoger et LBC ne resteront pas les bras croisés.
In fine, les agents risquent de devoir diffuser leurs biens sur plus de portails... Assurément pas la meilleure manière de faire baisser les charges publicitaires... Une belle balle dans le pied!
A. L. - mercredi 11 novembre 2015 à 19:59 :
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » Mark Twain
Dan NEWTON - vendredi 13 novembre 2015 à 14:23 :
Très intéressante, un seul remarque concernant Rightmove et leur tarification. Publiant 100% de nos annonces sur Rightmove, ils nous coutent environs 70% de le tarif proposer par SeLoger !!!
Guilain Omont - vendredi 13 novembre 2015 à 14:34 :
Bonjour Dan, merci pour cette information. Il est probable que Rightmove fasse payer les annonces du Royaume-Uni plus cher que celles de France. Ce serait même plutôt logique, non ? Mais j'avoue que je ne connais pas les tarifs de publication d'annonces anglaises sur RightMove...
Dan NEWTON - vendredi 13 novembre 2015 à 22:50 :
Salut Guilain,
Je ne suis pas sure qu'il y as deux tarifs différents, mais c'est possible. Mais pour avoir les chiffres réal, nous paient actuellement 500 GBP HT ( +/-700 euros au taux de change en ce moment) pour 400 biens. J'ai actuellement devant moi un devis de Seloger pour 329 € HT pour 20 biens!!!!! Je sais que toutes tarifs sont TRÈS dégressive selon la nombre, mais en calcul de base ça fait 6,580 € pour l'équivalent, soit 20 fois plus cher.
Agence NEWTON est spécialisé dans la promotions des biens vers les marchés anglophones avec plus de 25 ans d'expérience, et nous constatons que les portails français ont des gros questions à se poser sur leur tarification, sans parlé d'efficacité!!
J'ai fait la teste avec Seloger il y as quelle que années, avec toutes nos biens pendent 6 mois.... même pas une dizaine de demande d’information.
Avec Rightmove, nous recevons environs 30 demandes de clients par semaines et déjà plusieurs ventes grâce à eux.
Pour moi, il y as plusieurs faits qui bloquent l'avancement des choses en France:
• Le paranoïa des agents immobiliers français concernent les détails donnés sur les sites (les leurs compris)
• L'idée reçu (à la français) que nous ne changeons pas nos techniques de vente qui ont marché avant "et donc marchera de nouveau" et l'absence totale d'envie d'innover
• les tarifications des portails français, ok je sais que la France à les charges sociaux les plus cher d'Europe, mais comme même!
J'ai l'impression que nos bons vieux agents immobiliers oublient que les technologies et surtout les attentes des futures clients changent avec des années.
L'internet est belle et bien présent pour toutes commerces confondus... si vous chercher à changer de voiture vous allez chercher à récolter les infos pour voir si telle modèle vous conviendra, comme pour un frigo ou un hôtel! Il est bien temps que les agences immobiliers rendre compte que 3 photos et trois-quatre lignes de textes ne suffisante plus pour la clientèle "internaute" d'aujourd'hui.
Et aussi, il faudra que les gros portails rendent compte que nous ne sommes pas les vaches au lait. Personnellement je préfère investir notre budget publicité dans les portails plus petit qui travaillent la référencement individuelle des biens, plutôt qu'une référencement pour promouvoir le site même (voir même les publicités à le télé).
L'internaute d'aujourd'hui est beaucoup plus habitué au net qu'avant et ne cherche plus "tel ville maison trois chambres", maintenant il ont des demandes beaucoup plus spécifique sur les styles, secteurs, tailles etc.
Avant tout, il faut que les agents immobiliers se rappelant que oui il y as la côté juridique de notre métier, mais avant tout nous sommes des boites de marketing, s'il donnent plus d'information dans leurs annonces, plus de "coeur" dans leurs descriptives, avec du temps ils auraient un référencement largement mieux que toutes les package paient, un meilleur contact avec des clients et logiquement plus de ventes.
Avec celle-là, soit les gros portails se revoir leurs façons de travailler ou ils finiront toutes par disparait avec le temps.
Après ça, celle-là reste mon opinion.....................
Nicolas - samedi 14 novembre 2015 à 17:58 :
Je suis d accord sur toute votre analyse avec encore plus de pessimisme sur la 1ère problématique qui est d avoir de l audience ! Le prestataire technique étant Nexity , le tout en étant Juge et partie n est du goût à rassurer les internautes !!! Cela a tout de même l avantage de faire bouger les lignes et poussera à continuer d innover. Bien ici , SL et LBC à degré moindre commence 2016 avec la geolocalisation
Christophe Rossi - lundi 16 novembre 2015 à 19:13 :
"J'ai refait tous les calculs, c'est impossible, il nous reste une seule chose à faire, le réaliser" P.G Latecoere
Au sein de notre AMEPI nous avons dénoncé depuis 1 moisnos abonnement avec "se loger" en réponse a leurs incessantes augmentations. La bonne nouvelle c'est que les internautes étant mobiles, le téléphone sonne toujours autant !...
La prochaine étape sera LBC et non nous ne paierons pas plusieurs portails en même temps, ce serait bien évidement contre productif et il faut prêter quelques neurones quand même aux agents immobiliers !
Zen - lundi 30 novembre 2015 à 16:33 :
Bienici !!!
Je laisse de côté les propos administratifs. En revanche voici enfin un site d'annonces immobilieres digne de ce nom. L'ergonomie y est parfaite et les performances sont bien plus satisfaisantes que chez la concurrence.
Bravo
Alexandre - lundi 30 novembre 2015 à 18:32 :
Bonjour,
Il ne faut pas oublier que la "force" des marketplaces est basée sur la volumétrie d'annonces. Si ces réseaux coupent les pont vers ces marketplaces (boncoin et seloger) l'internaute ira naturellement vers les sites qui diffusent les annonces qui lui correspondent. Faire de la pub ? En 2015 on appelle cela investissement de mots clés sur google. Je ne sais pas combien coute la diffusion sur boncoin ou seloger mais ils peuvent largement réinvestir cette économie en achat de mots clés. Selon moi, le seul argument viable de cet article reste "Les conflits d’intérêts entre agents doivent pouvoir se régler sans dégénérer en pugilat." qu'il va falloir gérer. Pour le reste, c'est open. Sans annonces, leboncoin ou seloger n'auront rien à diffuser car ils servent d'intermédiaire
Guilain Omont - lundi 30 novembre 2015 à 18:46 :
Bonjour Alexandre, pensez-vous vraiment que les grands réseaux vont cesser de diffuser sur SeLoger et Leboncoin, et investir dans Bien'Ici + des Google-Adwords à la place ?
Je pense que cette stratégie n'est pas viable. Il faudrait qu'ils tiennent comme cela pendant de longs mois, avec beaucoup moins de contacts entrants...
Mais de toute façon, mes arguments ne se situent pas à ce niveau là, mais au niveau de la gestion du capital de Bien'Ici :
1. il est réparti de façon très inéquitable dans la profession (les pros qui ne sont pas au capital vont se méfier, et je pense donc que Bien'Ici sera bien loin d'être exhaustif)
2. a priori, rien n'empêche les fondateurs de revendre leurs parts de Bien'Ici à des acteurs extérieurs de la profession.
Bref, même si Bien'Ici arrive à détrôner SeLoger et Leboncoin en terme d'audience et de nombre d'annonces (très difficile à cause du point 1.), on risque quand même de se retrouver au final dans la même situation qu'aujourd'hui (cf le point 2.).
Philippe Benardeau - lundi 14 décembre 2015 à 09:30 :
Mettre en place un portail commun d'annonces provenant uniquement des mandataires immobiliers ... belle initiative ... je suis partant ;)
Guilain Omont - lundi 14 décembre 2015 à 10:26 :
Oui, mais comment attirer les visiteurs sur ce portail commun d'annonces ? Pratiquement aucun acheteur potentiel ne cherche spécialement à acheter via un mandataire (vs agence tradi ou pap), je me trompe ?
Dominique Piredda - jeudi 17 décembre 2015 à 10:52 :
Bonjour Guilain, votre analyse me semble exacte mais comme on dit qui vivra verra.. Les réactions de SeLoger et de LBC seront déterminantes pour l'avenir de Bien'ici, attendons de voir la bataille. Ce qui me gêne le plus dans la démarche de la FNAIM c'est qu'elle attise une fois de plus le feu entre les réseaux et les agences tradi en excluant les mandataires. Ils n'ont toujours pas compris... c'était pourtant une belle occasion pour tenter un rapprochement intelligent et construire quelque chose de bon pour la profession pour le plus grand bénéfice de chacun y compris de nos clients... Dommage !!!!
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